Vaast Colson (°1977, réside et travaille à Anvers) bluffe. Il ne sait pas faire autrement, car en tant que jeune artiste, il n’a aucune base solide sur laquelle s’appuyer, il ne fait pas le poids, il n’a pas le moindre monopole d’une vérité quelconque.
Par ailleurs, le monde des arts plastiques se présente, du moins en apparences, comme le royaume des possibilités infinies, où l’artiste est libre de – ou condamné à – déterminer lui-même ce que signifient pour lui ou pour elle, l’art et le métier d’artiste. C’est dans cette liberté sans restrictions et ce gouffre sans fond que se situe, irrémédiablement, l’origine du métier artistique de Colson, de son besoin d’agir et de créer. Colson tente de d’instaurer des frontières dans des constellations sans cesse changeantes et de prendre position. Dans ses performances et les installations qui en font partie, il se penche sur la naissance de l’image, la méthodique du langage plastique et le rôle de l’art et de l’artiste. Il perce à jour, souvent d’une manière à la fois ludique et lucide, les constructions que ses prédécesseurs artistiques ou l’histoire de l’art ont pu ériger pour combler ce « gouffre », et dans son élan, il produit ses artefacts, ses rôles et ses identités artistiques propres. Ceux-ci sont, nécessairement, de l’ordre de l’imaginaire et du mythe et s’ils parviennent à séduire le public, ils sont magiques. A un moment, il poursuit la mystification ; à un autre, il est le premier à saper lui-même l’illusion créée. Puisqu’il n’existe aucune vérité absolue – et encore moins universelle – qui pourrait fonctionner comme point de départ, chaque performance ou installation de Vaast Colson naît de la situation particulière dans laquelle elle se manifeste. Il travaille de préférence avec un public live et permet à son œuvre de naître dans des situations concrètes.
Malgré cet aspect improvisé, momentané, toutes les actions sont préparées et exécutées jusqu’à l’obsession, jusque dans le moindre détail. Les restrictions et les possibilités du contexte, les limites et les délimitations du temps et de l’espace donnés, sont jaugées, tâtées et incorporées avec minutie, au maximum. Colson utilise ces éléments contextuels comme un puissant levier pour la mise en forme de ses actions. En parallèle, la personnification, la tension et la confrontation physique avec un public, agissent aussi comme autant d’éléments déterminants pour la forme. Le soin avec lequel Colson exécute ses actes, commue ses actions en une sorte de tension, il leur confère même parfois une dimension spirituelle. Par ailleurs, les nombreux rôles que s’attribue l’artiste, n’ont rien à voir avec les actions héroïques de l’apogée du modernisme. Dans l’une de ses installations, un skateboard arbore le slogan : « No more super-heroes », d’après l’album No more heroes des Stranglers en 1977, l’année punk par excellence. Les rôles qu’il joue ne sont ni tragiques, ni problématiques. Certaines actions respirent l’ennui ou comportent une certaine fadeur, en l’absence d’un scénario bien précis, pour que « se fasse » le « métier d’artiste ». En dépit de son application, on ne comprend pas toujours où les actions de Colson mènent, il n’y est jamais question d’une issue heureuse. L’artiste en tant que loser, en tant qu’anti-héros mythique. La célébration des 5 ans du S.M.A.K.constitue pour Vaast Colson un contexte rêvé pour lâcher ses démons. Comme il s’agit de sa première exposition muséale, et que le musée fête cet anniversaire en proposant une rétrospective des cinq années du S.M.A.K. sous la direction de Jan Hoet, il a baptisé son exposition A retrospective. Le titre n’est pas seulement une allusion ironique aux rétrospectives traditionnelles auxquelles ont droit les artistes célèbres en fin de carrière. Colson évoque aussi le fait qu’il faut non seulement représenter les arts plastiques dans un musée, mais aussi, dans la mesure du possible, les y conserver pour toujours. Etant donné que le processus et la rencontre avec un public sont des aspects cruciaux pour cet artiste, la lenteur d’une exposition – surtout en comparaison avec la rapidité et le direct des concerts dont il tâte parfois en tant que guitariste – constitue pour lui une problématique. Même le statut des vestiges de ses anciennes actions et installations est remis en question par l’artiste lui-même. L’espace Kunst-nu, tout en hauteur et en longueur, fonctionne comme une sorte de stock pour ces props et ces restes.
Dans le cadre des festivités du S.M.A.K., Vaast Colson réalisera des actions dans son installation pendant trois journées consécutives (7, 8 et 9 mai). A cet effet, il va construire une plate-forme en bois au-dessus des restes de ses installations et performances précédentes, de telle sorte que cet espace de stockage revête quelque part les caractéristiques d’un lieu de fouilles archéologiques. De plus, cette construction permet à l’artiste de créer un espace privé, pour lui, dans la salle d’exposition et de prendre ainsi ses distances par rapport au spectateur. Pendant le déroulement des festivités, l’artiste confronte le public comme s’il s’agissait d’un groupe, d’une masse de spectateurs qui zappent d’un événement à un autre. Ce qui exige par conséquent une régie et une mise en forme à la fois rigoureuse et efficace de chaque acte, dans le but de calibrer les effets et de rejeter la magie. Pendant le déroulement de l’exposition, l’artiste tient à être fréquemment présent dans son installation et il s’octroie le droit de transformer l’espace à tout moment. Ainsi il pourra appréhender le spectateur en tant qu’individu et traînailler librement parmi les vestiges de ses activités. Cette position est beaucoup plus personnelle et down to earth. Dans cette ambiance, il compte aussi accueillir divers artistes avec lesquels il ressent des affinités ou pour lesquels il ressent de l’admiration. Il les invite à faire quelque chose avec le matériel accumulé selon leurs idées, leur inspiration et leurs désirs. Dès qu’une action génère le scénario figé d’une routine, d’un certain ‘métier’, l’attitude artistique de Vaast Colson implique qu’il va immédiatement opter pour une alternative, une autre façon de faire. La construction au-dessus du gouffre ne peut jamais prendre les allures d’un fort. L’artiste choisit à chaque fois, d’aller à tâtons dans l’obscurité. Ce qui n’est pas sans risques. L’espace Kunst-nu, se veut un asile personnel pour l’expérimentation.