A l’automne 2002, le S.M.A.K. organisera une exposition présentant des oeuvres de l’artiste anversois Jan Fabre (°1958).
Le S.M.A.K. veut faire une exposition qui mette en lumière deux aspects de l’œuvre de Fabre qui n’ont encore jamais été présentés ensemble. Le musée présentera tous les films de l’artiste à la manière des musées. Parallèlement à ces films, plusieurs séries de dessins appartenant à des collections internationales seront regroupées.
L’artiste anversois Jan Fabre est un mille-pattes artistique qui fait appel à de nombreuses disciplines. Outre ses activités comme metteur en scène, chorégraphe, réalisateur d’opéras, auteur et scénographe, il réalise en tant qu’artiste plastique des dessins, des sculptures, des films et des installations. Cette polyvalence constitue une caractéristique essentielle et puissante de son œuvre Fabre approche chaque médium comme un nouveau monde qu’il explore de façon ludique mais pourtant réfléchie. Les divers média sont approchés à partir de leurs propriétés spécifiques, mais sont réunis dans leur thématique commune. Les dessins sont les retombées de ses idées. Ce ne sont pas des études, ils sont autonomes. Par rapport aux petits dessins sur papier, les films de Fabre peuvent être considérés comme de grands dessins avec de la lumière. L’exposition au SMAK rassemble pour la première fois un choix de films de Fabre de la façon propre aux musées. Dans une vingtaine de petites salles de cinéma, des films de la période 1978-2001 sont projetés. Ils sont confrontés à des séries de dessins de la même époque, provenant de collections internationales. De petits films en noir et blanc de la fin des années 70 montrent l’artiste qui exécute des actes simples sous l’œil de la caméra : allumer une allumette, se tenir un revolver sur la tempe, se tirer un sac par-dessus la tête Des films ultérieurs présentent des points communs avec son travail comme metteur en scène et chorégraphe, comme ‘Lichaampje, lichaampje aan de wand’ avec Vandekeybus qui danse, et son œuvre plastique, comme le château de Tivoli, entièrement rempli de bic bleu. A partir de sa fascination à l’égard de l’univers merveilleux des insectes, quelques collaborations avec d’autres artistes et penseurs sont nées. Dans ‘La rencontre’, nous voyons Fabre déguisé en coléoptère et Ilya Kabakov en mouche sur une terrasse, l’horizon de New York en toile de fond. Dans d’autres oeuvres, il engage la confrontation avec l’auteur John Berger et le chorégraphe Bill Forsyth ou les philosophes Peter Sloterdijk et Dietmar Kamper.
Au sein du médium film, Fabre cherche des façons pour réconcilier différents domaines du savoir. Les dessins de Fabre sont le résultat direct de sa pensée artistique. Certains partent de taches d’encre ou de sang, d’autres sont dessinés au moyen de crayon, de sang ou du bleu bic universel. Déjà les premiers dessins expriment l’intérêt que porte Fabre aux métamorphoses qui ont lieu dans le monde nocturne des insectes, ainsi que son imagination très sensuelle et expérimentale. Les dessins sont comme des zones de rêve dans lesquelles de très nombreuses idées qui sont élaborées dans les diverses disciplines prennent forme pour la première fois. Jan Fabre (Anvers, 1958) est sans aucun doute un des artistes belges les plus importants, qui bénéficie également d’une renommée internationale. Fabre est actif depuis le milieu des années 70 dans plusieurs domaines artistiques. On a pu voir son œuvre dans de nombreuses expositions dans le monde entier, comme par exemple la Biennale de Venise, Sao Paulo, Istanbul et la Documenta de Kassel, ainsi que dans de nombreuses expositions individuelles. L’univers des insectes, le corps et la stratégie de la guerre sont trois métaphores centrales que l’on retrouve comme un fil rouge dans l’œuvre de Fabre. Au milieu des années 70 elles sont déjà présentes lorsque l’adolescent Jan Fabre entame son Projet pour territoire nocturne.
Ce projet consiste en un territoire dans le jardin paternel dans lequel il est le seul à pouvoir pénétrer. Le centre de ce domaine est Le Nez, une sculpture faite de vieille toile et pourvue d’une petite table et d’une lampe de poche. Le Nez fonctionne comme laboratoire où il exécute des expériences, surtout avec des insectes et des araignées, auxquels il insuffle une nouvelle vie au moyen de toutes sortes de transformations. Il fait des dessins de ces métamorphoses étranges et souvent amusantes, écrit ses premiers textes de théâtre, et en remplissant une vieille boîte de chaussures de bleu bic, il s’approprie son premier espace artistique. A partir de son univers à lui, il étend son territoire au moyen d’une stratégie presque militaire. Quand il a dix-neuf ans, il change le nom de la rue qu’il habite, la Lange Beeldekensstraat, en « Jan Fabrestraat », et fixe une plaque commémorative à la maison paternelle « Ici vit et travaille Jan Fabre », par analogie avec la plaque commémorative sur la maison plus loin dans la rue où Vincent van Gogh a résidé pendant trois mois. Dans la plupart des performances, comme dans le cas de la plaque de rue, Fabre utilisera la langue comme une arme afin de se positionner dans un système bien déterminé - l’histoire de l’art, le marché de l’art, la critique d’art, la langue même - , et pour miner en même temps le système concerné. Les images et les concepts reviennent sous des aspects toujours différents. La boîte à chaussures sera par exemple le début d’une production importante d’Art Bic, allant des torchons Bic à des tissus de soie gigantesques, de grandes armoires au château enchanteur Tivoli et de la performance Bic Art Room à la pièce de théâtre Prometheus Landschaft dans un espace entièrement rempli de bic, et représentée pendant « L’heure bleue ». Cette dernière est aussi une métaphore centrale dans son œuvre. L’Heure Bleue indique le moment de la nature où les animaux nocturnes vont dormir et où les animaux diurnes se réveillent. C’est un moment de silence profond, où tout se déchire, explose et change. C’est ce moment précis, entre la nuit et le jour, entre la vie et la mort, que Fabre tente de saisir dans les dessins au bic. Il élabore au départ la conscience physique, corporelle dans des performances individuelles. Dans la performance My body, my blood, my landscape il fait ainsi des dessins au moyen de son propre sang. The Bic-art Room est un espace blanc entièrement fermé dans lequel il reste trois jours entiers. Ses seules armes pour passer le temps sont ses stylos à bille bic. Rapidement il s’empare de la scène de théâtre avec ses éléments de performances. Entre autres au moyen de répétitions épuisantes et de danger réel, il démolit le caractère illusionniste de formes traditionnelles de théâtre. Le théâtre, la danse ou l’opéra signifient pour Fabre une collaboration et un dialogue intense avec ses « Guerriers de la Beauté », le titre qu’il décerne à ses acteurs, danseurs et collaborateurs.
Travailler dans le cadre institutionnel pesant d’un opéra, ou comme au printemps passé avec le Ballet van Vlaanderen pour la représentation du Lac des cygnes de Tschaïkovski, constitue un pendant pour ses dessins et textes qu’il réalise pendant les heures solitaires de la nuit. Les armures que les acteurs ou danseurs de Fabre portent souvent, réunissent une nouvelle fois des références à l’univers des insectes, à la guerre et à la propre conscience physique. Fabre considère aussi ses sculptures, construites à partir de carapaces de coléoptères et qui représentent entre autres un ange, une jeune femme, un moine ou un amas de chair, comme des corps spirituels : « Le corps en tant qu’enveloppe, vide mais plein de souvenirs ». La carapace du coléoptère, qui fonctionne comme une espèce de squelette extérieur, constitue la base pour une image de l’homme utopique, future, qui n’est plus si vulnérable et qui n’est pas arrêtée par la vitesse à laquelle nous vivons. C’est aussi un corps qui est libéré des nombreux tabous qui datent finalement du moyen âge. L’exemple le plus important en est la mort que l’on balaie sous le tapis dans notre société mais qui constitue dans toute l’œuvre de Fabre un champ d’énergie puissant et positif. EXPOSITION SMAK : FILMS ET DESSINS L’exposition au SMAK veut mettre l’accent sur l’aspect cinématographique et graphique dans l’œuvre de Jan Fabre. Un choix de ses films entre la fin des années 70 et aujourd’hui alterne avec des séries de dessins provenant de collections internationales. La dualité apparente entre le film et les dessins constitue la force de cette exposition. Les premiers films de Jan Fabre naissent à la fin des années 70. Les courts métrages en noir et blanc, filmés au moyen d’une caméra de 8 mm, montrent des actes simples tels qu’un sac qui est tiré par dessus la tête, deux langues qui s’embrassent en se tortillant, un revolver que l’on appuie sur la tempe ou simplement l’enregistrement de la respiration. Les films durent quelques minutes, sont très succincts et étaient sans aucun doute très progressistes à l’époque. Dans les films de la fin des années 70 nous remarquons aussi déjà de nombreux motifs qui reviendront et seront détaillés plus tard. Comme par exemple l’enregistrement d’un cygne et de sa réflexion dans un lac, ce qui fait songer à la représentation de Fabre du Lac des cygnes. Il s’agit toujours d’oeuvres cinématographiques entièrement autonomes, avec des « performances » trouvées et exécutées spécifiquement pour le médium du film. Il y a pourtant aussi des liens avec d’autres oeuvres. Dans Tivoli par exemple, où le château entièrement rempli de bic bleu est mis en image à partir d’un point fixe alors que la lumière change, les nuages passent et la nuit tombe finalement. Lichaampje, lichaampje aan de wand est un film avec des images de Wim Vandekeybus qui danse, le corps peint. Ce film a été ensuite projeté sur la scène au cours du numéro de danse en soliste sous le même titre et exécuté par le même danseur. Au centre de la plupart des films des dernières années se trouve la notion de « consilience ». Le terme a été introduit au milieu du XIXième siècle par William Whewell. A cette époque les artistes, les scientifiques, les écrivains et les poètes collaboraient souvent. La consilience signifie littéralement : où des éléments de diverses disciplines, basés sur des faits et sur la théorie, concordent. Fabre adapte différents domaines du savoir et sent quelles sont les sortes de consiliences contenues par les divers média. Le meilleur exemple a été l’expérience qu’il a exécutée avec des entomologistes du Musée d’Histoire Naturelle de Londres. Ils étaient tous vêtus de vêtements spéciaux, ressemblant à des sculptures, que Fabre avait créés pour visualiser leur insecte favori (une guêpe, un moustique, un papillon, un coléoptère). L’objectif ultime de cette performance était d’incarner cet insecte bien défini, à un niveau physique inconscient plutôt que simplement intellectuel. Toutes les actions, qui ont eu lieu pour la plus grande partie dans les caves du musée, ont été filmées. Ces performances et le film qui en résulte constituent en un certain sens la réflexion des métamorphoses étranges et des transformations qui se sont déroulées il y a près de trente ans dans Le Nez. Alors qu’à ce moment l’entomologiste adolescent Jan Fabre faisait des expériences avec des insectes, les scientifiques et l’artiste entrent à présent dans la peau de leur objet d’étude de prédilection, afin de se familiariser avec ses mondes étranges au moyen de la méthode métaphorique. Une rencontre très importante et similaire a été celle avec Ilya Kabakov, dans la cave et sur le toit de l’immeuble d’appartements de New York qu’habite l’artiste russe. Un des symboles que Kabakov utilise dans ses oeuvres est la mouche ; Fabre travaille de préférence avec le coléoptère.
Dans La Rencontre, les artistes, déguisés chacun en l’insecte concerné, entament une conversation au sujet de la mouche et du coléoptère, dans le sens politique, social et artistique. Ce matériau a été utilisé pour un film, une installation et des dessins. Un film, tourné dans un musée d’anatomie à Montpellier, est la conséquence de la collaboration avec l’écrivain John Berger et le chorégraphe Bill Forsythe. Avec deux philosophes allemands, Dietmar Kamper et Peter Sloterdijk, Fabre a réalisé le film The Problem au sujet de plusieurs événements étranges dans un champ plein de boue. Vêtus d’une queue de pie noire et luisante, les trois messieurs roulent, tels des scarabées appliqués, chacun un boule d’excréments. Tout en s’amusant et en peinant dans la boue, ils se construisent leur propre univers. Les deux films sont d’excellents exemples de la cohérence inimaginable et du dynamisme puissant qui caractérisent l’œuvre de Fabre.
Les dessins de Fabre expriment un besoin spontané de créer. Ils constituent le résultat direct de la pensée et de la réflexion artistiques de l’artiste. Certains sont réalisés avec du sang, d’autres au crayon, au moyen de sperme, d’encre de Chine ou de bic bleu. Les dessins constituent la base de son art. Fabre dit de ses dessins : « Dessiner est une métamorphose de signes qui changent d’aspect comme des insectes. Une métamorphose qui se répète tout le temps, il n’y a pas de fin, il n’y a pas de début, une sensation d’arriver et de passer et d’être toujours en route, de marée basse et de marée haute ». Fabre se défait de la forme en dessinant des lignes qui voyagent sans jamais arriver. Cette action va de pair avec des sentiments de plaisir, de tension, d’euphorie, d’espoir et de désespoir, même avec un état de transe ou d’extase. L’impression se fait jour que le matériau devient transparent et qu’il peut voir ce qu’il voudrait de lui, si bien qu’il réagit et donne intuitivement. C’est comme une hallucination, des milliers et des milliers de lignes qui se multiplient et se croisent. Les dessins sont des zones de rêve, des champs d’attente. Dessiner est pour Fabre une expérience très physique, au cours de laquelle il explore les limites de sa propre corporalité et les déplace, dans laquelle il veut faire naître un autre espace. Déjà à un stade très précoce de son œuvre il travaille avec du sang, son propre sang, ou celui d’une amie qui a ses règles. Des dessins au crayon, par exemple du sexe féminin, d’un insecte ou d’une tortue ont été tachés de sang, d’une empreinte digitale sale ou d’une grosse goutte. Les dessins de Fabre ont rapidement présenté un lien avec des associations de performances.
La combinaison du genre tranquille, méditatif du dessin et les éléments violents (la douleur, le danger, les suggestions d’automutilation) de la performance arrache entièrement le dessin à sa valeur académique. En 2001, Fabre a tenu à Lyon la performance Sanguis Mantis. Il s’est hissé dans une armure extrêmement pesante dans laquelle il était presque impossible de fonctionner normalement. Sur cette armure, Fabre a placé une grande copie de la tête d’une mante religieuse. Il se prenait continuellement du sang afin de faire une série de dessins au moyen de celui-ci. Les circonstances (la pression sanguine basse, l’inhalation d’air déjà exhalé, le caractère intense du dessin) ont mené Fabre au bout de cinq heures au bord de l’évanouissement. Ici aussi les thèmes de l’univers des insectes, du corps et de la guerre sont une nouvelle fois clairement présents. Pour les films ainsi que pour les dessins, des cabinets sont construits à travers les diverses salles du musée. De cette façon un espace à caractère de labyrinthe naît, dans lequel le spectateur peut chercher sa propre voie, établissant des liens entre les projections et les dessins. Tous ces facteurs stimuleront sans aucun doute le visiteur familier comme le nouveau visiteur de l’univers polyvalent de Fabre pour explorer des sentiers inconnus et découvrir de nouvelles facettes. Cette exposition itinérante sera présentée en 2003-2004 au Musée d’Art Contemporain de Lyon, à la Galleria d’Arte Moderna e contemporanea de Bergame et à la Fundació Juan Miro de Barcelone.