Les ateliers conceptuels de Klaus Scherübel (°1968, vit et travaille à Montréal), qui utilisent une grande variété de médias tels que des publications, des photos, des vidéos, des textes, etc.
Il propose une analyse critique des différentes formes de production culturelle issues des domaines de l'art visuel, la littérature, le cinéma et la télévision. Il exposera au S.M.A.K. deux installations dans lesquelles il s'intéresse à deux oeuvres littéraires remarquables, à savoir ‘Le Livre’ de Stéphane Mallarmé et ‘All Work and No Play’ de Jack Torrance, qui a été rendu célèbre grâce au film ‘The Shining’ (1980) de Stanley Kubrick.
Mallarmé, Le Livre (Salle de lecture) 1999-2009, est une présentation exhaustive du projet à long terme de Klaus Scherübel dédié à la tentative utopique du poète français Stéphane Mallarmé qui remonte au 19ème siècle. Pendant plus de trente ans, Mallarmé – dont l'oeuvre la plus connue est son poème majeur en prose “Un coup de dés jamais n’abolira le hazard”(1897) – s'est attelé à ce projet hautement ambitieux, qu'il a tout simplement nommé “Le Livre”. Il imaginait “Le Livre” comme une architecture cosmique émaillée de textes: une structure extrêmement flexible qui ne contiendrait rien de moins que “toutes les relations existantes entre tout ce qui existe.” Ce Magnum Opus, totalement libéré de la subjectivité de son auteur et représentant la somme de tous les livres, était pour Mallarmé l'essence de toute la littérature et en même temps un “livre très ordinaire”. La réalisation de ce livre “pur” qu'il souhaitait publier à 480.000 exemplaires précisément, n'a jamais été plus loin que sa conception et une analyse détaillée du matériel et de la structure à utiliser pour la publication et la présentation. Pourtant, aux yeux de Mallarmé, “Le Livre”, qui devait être considéré comme “le véritable culte de l'époque moderne”, était tout sauf un échec. “Il se réalise par lui-même”, a-t-il expliqué dans une de ses dernières déclarations en qualifiant la singularité du “Livre”. 100 ans plus tard, Klaus Scherübel s'est lancé dans une étude approfondie, par couche, du rêve utopique de Mallarmé. Dans le cadre de l'exposition, Mallarmé, Le Livre (Salle de lecture) 1999-2009, située dans l'aile gauche au rez-de-chaussée du S.M.A.K. et qui pour l'occasion fait office de “salle de lecture conceptuelle”, Scherübel se fait passer pour l'éditeur et le gardien du chef-d'oeuvre littéraire non-existant, controversé et quasiment oublié au 19ème siècle de Mallarmé. En prenant la forme hybride d'une vaste exposition promotionnelle et d'une salle d'information, l'installation propose de faire la lumière sur la signification et les bases conceptuelles de l'entreprise de Mallarmé tout en mettant en avant les moyens et les processus qui permettent à un livre standard de trouver une existence publique. Cela se traduit par des oeuvres couvrant une grande variété de médias, comme des photos, des textes, des vidéos, etc.
La création d'une “reprise possible” est remarquable, compte tenu du caractère de l'oeuvre – à savoir que, bien que le Livre ne puisse pas être matérialisé, il représente en même temps “le fondement conceptuel de la pensée” qui a été appréhendé. L'exposition Mallarmé, Le Livre sert de plate-forme pour la présentation de la première version néerlandophone du “Livre”, qui a été publiée par mfc – michèle didier à Bruxelles, et qui sera vendue comme une édition dans la boutique du musée. Parallèlement à cela, sera également publiée une compilation des versions existantes en allemand (Walther König, Cologne, 2001), en anglais (Printed Matter, Inc, New York, 2004) et en français (Optica et le Musée d’art moderne Grand Duc Jean, Montréal / Luxembourg, 2005). La seconde installation de Klaus Scherübel – intitulée Jack Torrance’s All Work and no Play (Catalogue du Livre) 2006-2009 – peut être considérée comme le chapitre le plus récent au sein d'une plus vaste étude et d'une remise en cause de la perception de la production créative de Jack Torrance. Nous connaissons surtout Torrance comme étant le personnage tourmenté (joué par Jack Nicholson) de ‘The Shining’ de Kubrick. Dans le film, Torrance est un auteur qui traverse une crise d'inspiration qui sera à l'origine d'un travail tout à fait inhabituel, découvert par sa femme Wendy, alors que le film atteint son apogée dramatique: son mari n'a pas écrit le texte littéraire attendu, mais au lieu de cela, il a produit d'une manière compulsive des images textuelles en répétant inlassablement, sur sa machine à écrire la célèbre maxime “All work and no play makes Jack a dull boy”. Chaque page a été formatée différemment afin de faire référence virtuellement à toutes les formes visuelles qu'un texte peut prendre, d'une colonne de journal à de la poésie concrète. Cette création, qui est interprétée dans le film comme le signe d'un échec artistique et le symptôme d'une crise psychologique, implique en fait – si nous prenons en considération diverses stratégies artistiques et littéraires avant-gardistes qui peuvent aller du poète français Stéphane Mallarmé jusqu'à l'artiste belge Marcel Broodthaers et au-delà – la création d'une oeuvre remarquable qui occupe une position ambivalente à la frontière entre l'art conceptuel et une forme très visuelle de littérature expérimentale. Sous la forme d'une projection numérique de slides, “Jack Torrance’s All Work and No Play (Catalogue du Livre) 2006-2009” fait directement référence à la scène où Wendy Torrance se trouve confrontée à un sentiment d'horreur en découvrant le manuscrit dactylographié de son mari. Au lieu de l'atmosphère dramatique de l'histoire originale, cette nouvelle version offre au spectateur un regard distant sur la totalité du travail du texte imagé de Torrance qui a été reproduite, complétée et éditée par l'artiste. Texte Jean-François Chevrier - 27.11.2009