Sine Van Menxel speekselsporen, tongstreken (2020) dans la collection S.M.A.K.

Van Menxel 01

Le S.M.A.K. a récemment acquis ‘speekselsporen, tongstreken’ (traces de salive, coups de langue) de Sine Van Menxel. L'œuvre pouvait être vue jusqu'au 30 mai 2021 dans l'exposition "Why Are You Angry ?".

‘speekselsporen, tongstreken’ (traces de salive, coups de langue) est une série de cinq photographies analogiques en noir et blanc. Trois des œuvres ont été tirées du même négatif et deux sont des collages d’épreuves. Avec sa langue, l’artiste a laissé des traces de salive sur les images. Les interventions et manipulations de Van Menxel, qui ressemblent à des coups de pinceau, confèrent une qualité surréelle à ces paisibles images de la nature. Elle a léché les négatifs à l’aveugle, créant ainsi des photos originales uniques qu’il est impossible de reproduire à l’identique. Ce faisant, elle pousse la photographie jusqu’à ses limites. L’artiste est surtout fascinée par les aspects techniques du média: comment contrôler la lumière, l’ombre, la texture et le mouvement d’une manière créative?

Mais Sine Van Menxel permet aussi au hasard de jouer un rôle dans son œuvre et de laisser des traces derrière lui. Les résultats sont visibles ici: une étrange série de photos, qui trouble et attire tout à la fois le spectateur.

Puisqu’elle a utilisé sa langue, les associations avec l’intimité et l’amour sont vite faites. Et qu’est-ce que l’amour, sinon un mélange de trouble et d’attraction?

Interview avec Sine Van Menxel

Quelles techniques avez-vous utilisées pour cette œuvre?

La photographie analogique. Avec un seul négatif, on peut en principe faire des reproductions exactes à l’infini. En laissant des traces directement sur le papier, j’ai fait en sorte que chacune de ces photos devienne unique.

Pourquoi avoir choisi la photographie analogique plutôt que numérique?

La photographie numérique et la photographie analogique ont chacune leurs qualités propres. L’une n’est pas mieux que l’autre. Il s’agit simplement de deux médias différents. Je trouve important que la photographie analogique continue d’exister en tant que moyen d’expression artistique. On peut la comparer à la peinture. La peinture aussi a paru dépassée après l’invention de la photographie. Mais les peintres se sont précisément mis à expérimenter, parce qu’ils étaient délivrés de la tâche de rendre fidèlement la réalité. Le travail à l’aveugle est ce qu’il y a de plus beau dans la photographie analogique. Entre la prise du cliché et le développement du négatif, la présence de l’image demeure latente. La photo a été prise mais elle n’est pas encore visible. L’image mène donc déjà une première vie dans l’imagination. Dans cette œuvre, par exemple, c’est seulement au toucher que j’ai pu me faire une image du dessin que je réalisais avec ma langue sur le papier photo non impressionné. Comme le papier photo était encore blanc, je n’avais que mon souvenir de la photo sur lequel m’appuyer pour avancer dans mon travail. Ce n’est qu’après le développement du papier photo que la photo et la trace de salive sont devenues visibles. Je vois volontiers cette lenteur, l’obscurité et la tangibilité de la photographie analogique comme une métaphore de ce à quoi nous semblons renoncer dans nos vies rapides, visibles et virtuelles.

Pourquoi avoir utilisé votre langue?

Lorsque vous passez votre langue sur votre peau, vous mobilisez le sens du toucher et le sens de l’odorat. Le sens de la vue n’intervient pas vraiment dans cette action. En faisant des photogrammes de ma salive, je le fais brusquement intervenir. Une sorte de traduction a lieu entre les sens. J’aime faire réagir du matériel photographique analogique à des interventions qui ne relèvent pas de la méthode classique. Ici, vous voyez que la photographie porte en elle plus d’une possibilité de visualiser la réalité.

Que signifient les plantes combinées aux coups de langue?

J’étais à la recherche d’une image avec suffisamment d’ouverture, à laquelle il était encore possible d’ajouter quelque chose. Les traces de salive acquièrent quelque chose d’organique en combinaison avec les plantes, et le noir profond me fait penser à des espaces incommensurables comme les abysses ou le cosmos.

Puisque vous avez utilisé votre langue pour cette œuvre, elle évoque des images d’intimité et d’amour.

Je pense qu’elle montre avant tout l’intimité entre l’artiste et le matériau. Les collages de deux ‘spoelbadcollages’ (bains de rinçage) soulignent cela. Le spectateur peut ensuite vivre sa propre expérience intime avec l’œuvre. L’intimité est toujours temporaire et situationnelle. Un musée est un lieu plein de rencontres intimes.

Qui aimez-vous?

Chic chante: “At last I am free. I can hardly see in front of me.” (Enfin je suis libre. Je ne vois pratiquement rien devant moi.) On peut aussi faire ce genre d’expérience dans le temps. J’aime l’expression ‘se perdre dans l’instant’. Peut-être encore plus sa version anglaise, ‘being lost in the moment’, être égaré dans l’instant. Cette expression dit quelque chose du temps ressenti, qui peut être beaucoup plus long ou plus court que le temps de l’horloge. Le monde entier est mis ‘on hold’, en attente, ou au contraire avance beaucoup plus vite que vous. On peut éprouver cela très fort dans un processus de deuil, par exemple. C’est une façon de voyager dans le temps.

21.Mai.21 Catégorie: Collection
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