Bernard Frize interrompt ses études de peinture car il ne voit pas comment, dans le contexte de Mai 68, son art peut être compatible avec son engagement d’activiste politique. À partir de 1970, il travaille dans un atelier de sérigraphie parisien pour d'autres artistes jusqu'à ce qu’il invente, en 1976, une peinture qui n'est ni subjective ni expressive et dans laquelle, croyant que la révolution doit venir de la classe ouvrière, il s’identifie à ses tableaux comme un ouvrier aux produits qu'il fabrique. L'avant-garde internationale se développe hors de France dans les années 1960 et 1970.
Manquant de contexte chez lui, Frize voyage à travers l’Europe pour suivre l'actualité. Il s'intéresse notamment à Fluxus, Robert Filliou, l'art conceptuel et américain. Parallèlement, il explore les conditions minimales à remplir pour parler d'un tableau. Ses tableaux ne représentent qu'eux-mêmes et la manière dont ils sont créés. Les premières toiles montrent clairement la quantité de travail nécessaire à leur réalisation. À l'aide du pinceau le plus étroit qu'il puisse trouver, Frize remplit des toiles d'un mètre carré de tirets. L'intention est claire et Frize l'exécute sans autre implication personnelle.
Frize part de préceptes qu'il s'est lui-même imposés pour chacune de ses œuvres. Les lignes de craie l'exemptent de toute autre préoccupation et décision concernant l'avancement de son travail. En ce sens, son travail pourrait être classé dans la catégorie de l'art conceptuel, mais selon Frize, cette catégorie est trop fortement basée sur le langage pour s'appliquer à sa peinture. Dans les années 1980, il recouvre une série de toiles de films de peinture séchée provenant de pots de peinture qu'il laisse ouverts. Dans les années 1990, il fait quelque chose de similaire avec des films de peinture séchée provenant de bacs dans lesquels il verse plusieurs couleurs non mélangées. En raison des différences de gravité spécifique, certaines couleurs coulent plus ou moins au fond.
À chaque fois, Frize élabore une procédure de fabrication différente. Les règles découlent de figures qu'il tire des mathématiques et des possibilités de la matière avec laquelle il travaille : ligne, support, toile, surface, peinture, couleur, pinceau ou rouleau à peinture et geste. Frize ne manque jamais de souligner que la peinture est un travail physique. Il recouvre d'abord la toile d'une couche lisse de résine, puis, d'un seul geste et avec son pinceau chargé de peinture une seule fois, il étale une fine couche de peinture sur celle-ci. Lorsque la trace de peinture s'arrête, le mouvement du pinceau s'arrête également. Le résultat nous empêche de nous perdre dans la matière de la peinture et de la toile et nous incite à regarder comment les mouvements se sont produits.
Frize a réalisé des tableaux aux mouvements plus complexes, dans l'esprit des années 1960, avec plusieurs autres personnes. Les gestes sur ces toiles ne pouvaient être peints que par plus d'une paire de mains. Le rôle de Frize consistait alors à diriger et synchroniser l'action. Frize démystifie l'acte de peindre et le rôle de l'artiste, mais encourage notre rôle de spectateur, sans lequel, pour lui, les peintures restent des choses sans signification.
