Sans-papiers

11.Nov.05
7.Jan.06
Tjolle01

L'œuvre de Sven ’t Jolle (Anvers, °1966) repose largement sur la société et se caractérise par la vision engagée de l'artiste sur les cultures non occidentales.

Pour cette exposition, ’t Jolle s'inspire de la culture de la représentation la plus ancienne, qui trouve ses racines au Moyen-Orient. En suivant les traces des toutes premières écritures sur tablettes d'argile, il a établi le lien avec les « sans papiers », avec la circulation illégale de l'héritage culturel et avec la controversée Constitution européenne. Cette thématique est traitée sous différentes formes par une présentation muséale et par une installation dans la ville. Les sculptures présentées dans le musée ravivent par leur présence, innocente et apparemment silencieuse, les souffrances pourtant d’une actualité brûlante. L'infiltration au niveau de la ville se base plutôt sur la symbolique figurative du catholicisme et évoque la circulation des réfugiés lancée par la globalisation. Cette intervention se déroulera dans un quartier gantois durant la période de Noël. L'oeuvre de Sven ’t Jolle se caractérise par un mélange d'éléments historiques, politiques et sociaux exprimés dans un langage imagé entièrement personnel. Ces différents ingrédients confèrent à ses oeuvres plusieurs niveaux qui peuvent être découverts ou « lus » par le spectateur. Cette présentation se retrouve aussi clairement ici, dans cette exposition. Ses sculptures en plâtre s'inspirent des statues votives issues des plus anciennes civilisations du Moyen-Orient antique. Des statues votives originales identiques figurent parmi les collections des grands musées d'histoire de l'art classique en Europe. Sven ’t Jolle insiste sur la présence de ces statues dans les musées et, par extension, sur l'usurpation de l'héritage culturel des nations non européennes par les musées occidentaux en question. Il n'y a pas qu'au 19e siècle et au début du 20e siècle que les grands musées européens ont rassemblé des collections d'une richesse inestimable suite au pillage archéologique ou colonial des pays du Moyen-Orient. Aujourd’hui encore, le « permis de séjour » de l'héritage culturel dans les musées étrangers reste une problématique actuelle. Les statues ayant été, en toute illégalité, dérobées à leur pays d'origine et celles-ci ne disposant pas de papiers valables.

Sven ’t Jolle les désignent symboliquement comme étant des « sans papiers ». Il s’en réfère en outre aussi, quand il évoque ce terme, à la plus ancienne forme d'écriture : l’écriture cunéiforme, sans papier. Les inscriptions primitives sur poterie les plus anciennes (à notre connaissance) sont apparues à Harappa, dans la vallée de l’Indus (l'actuel Pakistan). La civilisation de l’Indus se caractérise par l'absence de grandes différences de classes et par l’absence d'étalage de richesse par ses souverains. C'était une civilisation pacifique dont le peuple s'occupait d'art et réalisait des oeuvres en pierre. Indépendamment de cela, l'écriture cunéiforme sur tablettes d'argile est aussi née chez les Sumériens, dans l'Irak actuel. Partant de ce contexte historique, Sven ’t Jolle établit un lien avec la problématique actuelle des « sans papiers ». Le terme « sans papiers » a été créé au milieu des années nonante par la presse francophone, lorsque l'évacuation violente des églises, où des réfugiés illégaux avaient trouvé asile, avait obtenu un regain d'attention de la part de nombreux médias. Auparavant, on utilisait le terme « d'illégaux » (de clandestins), un mot à connotation négative. « Sans papiers » est un terme beaucoup plus humain. Il octroie aux demandeurs d'asile un visage personnel et une histoire personnelle. Les statues anthropomorphiques de Sven ’t Jolle correspondent parfaitement bien à cette symbolique. Elles nous poussent aussi à réfléchir à l'image que les médias donnent des demandeurs d'asile. L'artiste s'insurge de manière autonome contre les pratiques courantes d'expulsion hors de la Forteresse Europe. Nous pouvons à ce sujet renvoyer à l'oeuvre de Sven ‘t Jolle intitulée « Qalaat Europa, Klein Kasteeltje » (1993), qui appartient à la collection du SMAK. Les statues de Sven ’t Jolle sont des porte-parole de personnes anonymes qui dans la spirale négative de la globalisation sont refoulées au fin fond de la société. L'allusion spécifiquement faite à la région du Moyen-Orient n'est pas un hasard car cette dernière est d’une part difficile d'accès aux Européens et d’autre part, le berceau d'une grande vague de réfugiés. En plus de ses sculptures, des dessins sont également exposés. Ce sont des photocopies issues des carnets d'esquisses de l'artiste. Ils expriment les impressions de l'artiste tout au long de sa recherche sur la parenté entre l'imagerie séculaire et les possibilités de son application dans les médias actuels (notamment, les bandes dessinées et les films d'animation). Les dessins sont en quelque sorte des storyboards. Les statuettes votives qui servent ici de source d'inspiration, proviennent du fond « de l'enfance de l'humanité ». Selon l'artiste, cette imagerie « primaire » renferme précisément les archétypes qui nous parlent encore aujourd'hui. Ce sont des éléments très discrets, par opposition aux énormes possibilités qu'ils offrent. Sven ‘t Jolle veut à nouveau attirer l'attention sur cette richesse de possibilités d'expression dans leur langage formel. Fréquemment au cours de son processus de travail, il part à la recherche de statues similaires, directes et non sophistiquées qui peuvent s'adresser à un large public. Les statues exposées ici, ont d'abord été réalisées en argile, puis elles ont été coulées dans un plâtre mélangé à des pigments. Ce message direct ressort très bien des oeuvres en argile. Pour l'artiste, travailler l'argile est l'équivalent de dessiner au crayon. Les oeuvres en argile constituent, de part la simplicité du limon, les techniques de base les plus pures auxquelles les artistes ont depuis des siècles recours pour s'exprimer. Et cependant, elles restent très actuelles.

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