Lettre de Philippe Van Cauteren à Geraldine Tobe

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Suite à l'exposition "Vous n'êtes pas prêt pour ça" de l'artiste congolaise Géraldine Tobe, Philippe Van Cauteren lui a écrit une lettre.

Wonderlust, l'initiative de diplomatie culturelle de l'Université Libre de Bruxelles, accueille la toute première exposition de l'œuvre de l'artiste visuelle congolaise Géraldine Tobe. Tobe est réputée pour sa technique de peinture unique : en utilisant la fumée des brûleurs à pétrole, elle crée des images fortes et surprenantes qui confrontent le public à des fragments de son histoire personnelle.

L'exposition "Vous n'êtes pas prêt pour ça" peut être visitée gratuitement à la Lever House de Bruxelles jusqu'au 15 janvier 2023.
Plus d'infos sur l'expo

Extrait de la lettre à Geraldine Tobe

"... La collection du S.M.A.K. comprend également l'œuvre extraordinaire "Senza Titolo" (1980) de l'artiste gréco-italien Jannis Kounellis. Lors de notre rencontre au musée de Gand, mes pensées ont souvent vagabondé vers cette œuvre. Laissez-moi le décrire comme un site sacrificiel : un tas de pierres et une palette de peintre sur le mur blanc du musée, reliés par une traînée de suie. Une sculpture comme résultat d'un acte, où la tradition de la peinture est sacrifiée au profit de dimensions, à mon sens, spirituelles. De même, il y a plus de dix ans, vous avez détruit toutes vos peintures, les avez brûlées, pour permettre une fenêtre sur le renouveau. Dès lors, la fumée et la suie sont devenues votre materia prima, un aérosol volatil qui trouve sa précipitation sur le papier pour explorer images et traditions. Un peu plus tard, j'ai pensé à l'artiste Cai Guo-Qiang, fils d'un calligraphe traditionnel chinois, qui utilise la poudre à canon pour réaliser des dessins et des installations qui relient le spirituel et la tradition. Ou pourquoi pas aussi Claudio Parmiggiani, ou le poème "Black Flakes" de Paul Celan. Je sais, les références que je cite sont chargées d'une tradition d'Europe occidentale. Mais si je vous emmène un instant en 1953 - sept ans avant l'indépendance du Congo - nous abordons une sensibilité qui nous relie sans doute tous les deux. Les statues meurent aussi" est un documentaire visionnaire unique de 30 minutes réalisé par Chris Marker (ism. Alain Resnais et Ghislain Cloquet) à la demande du magazine "Présence africaine". Le point de départ du film est la question de savoir pourquoi l'art africain se trouve au Musée de l'Homme, alors que l'art grec ou égyptien se trouve au Louvre. Bien que la question ait déjà été posée il y a près de 70 ans, ce n'est qu'aujourd'hui que nous arrivons à un début de réponse. La publication de Clémentine Deliss intitulée "Le musée métabolique" est l'une d'entre elles. Elle commence par un manifeste pour le musée post-ethnographique. Votre travail est une autre réponse, celle d'un artiste qui utilise le pouvoir de l'image comme un moyen de créer des liens. Au cours de notre conversation, vous avez parlé de restaurer la relation avec les ancêtres congolais, les sculptures, les statues d'ancêtres, les masques et autres objets étant des émanations directes de cet autre temps et espace. Nous avons parlé de Kinshasa, de Tervuren, de restitution, de sorcellerie, de religion, de tout cela mais dans un ordre différent. Et un ordre différent est celui que votre travail met en place, une nouvelle configuration loin de tout antagonisme, loin du 'newspeak' occidental, vers les origines de l'originalité."

- Philippe Van Cauteren, Gent 4 novembre 2022

9.Déc.22 Catégorie: Portrait
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