La pratique artistique du Canadien Attila Richard Lukács se manifeste surtout à travers la peinture et plonge ses racines à la fois dans la haute et dans la basse culture. Depuis les années 1980, il s’attelle sans relâche à expérimenter et redéfinir le médium pictural. En 1985, il est sélectionné, avec Angela Grossman, Derek Root et d’autres, pour participer à l’exposition collective ‘Young Romantics’ à la Vancouver Art Gallery, ce qui lance sa carrière artistique.
Ses tableaux, souvent monumentaux, rappellent les œuvres des artistes allemands Norbert Tadeusz et Neo Rauch et regorgent de références à des grands maîtres comme Giotto, Le Caravage, Rembrandt et Jacques-Louis David. Avec une grande précision technique, Lukács peint des thèmes contemporains liés au désir, à la puissance, à l’érotisme et à la masculinité, tout en empruntant des procédés, des compositions et des motifs à l’histoire de la peinture pour ensuite les désarticuler. Dans ses tableaux, il combine un style classique avec une exécution qui fait penser à l’expressionnisme abstrait américain.
Dès le début de sa vie d’artiste, il est clair que Lukács s’intéresse surtout à la représentation du corps masculin, comme le montrent ses premiers tableaux représentant des soldats et des athlètes. Lukács continue d’approfondir ce sujet qui le fascine en 1986, lorsque, alors âgé de vingt-quatre ans, il part en résidence à Berlin, à la Künstlerhaus Bethanien. Il y crée ‘E-Werk’, une série de peintures monumentales dans lesquelles il représente des skinheads nus et à demi nus, en train de travailler dans des poses tantôt héroïques, tantôt érotiques, sorte de parodie du réalisme social de la peinture soviétique. Les skinheads qui ont servi de modèles pour la série viennent du milieu social de Lukács. Il les a fait poser et les a photographiés avec son appareil Polaroid. Pour la série, il se base en outre en partie sur des antécédents tirés de l’histoire de l’art et en partie sur des images de référence provenant de revues pornographiques. Lukács peint les skinheads comme des corps masculins idéaux. Le skinhead tient ici lieu d’objet de désir ou de symbole d’une nouvelle énergie politique, sans que Lukács s’associe à l’idéologie du personnage.
Les tableaux de la série ‘E-Werk’, exécutés avec d’épaisses touches de peinture et rehaussés d’éléments tels que du goudron et de l’or, ont été jugés provocants en raison de leurs allusions encombrantes au sadomasochisme ainsi qu’à l’esthétique et à la symbolique fasciste. Ceci mettait le spectateur dans une position inconfortable, entre attraction et répulsion. Bien que Lukács insiste sur le fait que la série ‘E-Werk’ est consacrée au corps masculin et s’insurge contre le terme d’homo-érotisme souvent utilisé dans les années 1980 et 1990 pour décrire ces œuvres, la série illustre bien la manière dont les tableaux de Lukács peuvent être lus comme un « queering » de la peinture. Lukács défie les traditions picturales occidentales classiques, il les interroge et se les approprie, tout en diffusant l’image d’une identité de genre ouverte ou d’une identité sexuelle large. Depuis les années 2010, le travail de Lukács est de plus en plus présenté dans des expositions collectives consacrées à des histoires queer comme ‘Drama Queer: Secuding Social Change’ (2016) et ‘About Face: Stonewall, Revolt and New Queer Art’ (2019).
En 1996, Lukács quitte Berlin et émigre à New York, où il crée de nouvelles œuvres qui contrastent vivement avec ses tableaux précédents. Il réalise ainsi ‘Arbor Vitae’ (1999), une série de tableaux en noir et blanc représentant un arbre peint dans différentes perspectives, où il s’inspire de la pratique photographique de l’artiste russe Alexander Rodchenko. Dans cette même période, il produit la série ‘Myths About my Garden’ (1999), qui part de la miniature persane et indienne. Souffrant d’une dépression et d’une consommation excessive de drogue, Lukács quitte New York en 2001. Il déménage à Maui, dans l’archipel d’Hawaï, où, pendant qu’il se rétablit, il se concentre sur la peinture de fleurs.
En 2002, Lukács retourne au Canada, son pays natal, et réagit à l’invasion américaine en Iraq et à la campagne de propagande qui y est associée en réalisant une série de peintures monumentales. À partir de 2011, Lukács s’essaie aussi à la peinture abstraite et il crée une série de grisailles. Outre la peinture, Lukács s’adonne également à d’autres formes d’expression artistique. C’est ainsi qu’à partir des années 2010, il réalise notamment des collages, des sculptures et des installations. Le style de vie nomade de Lukács se reflète dans sa pratique artistique, qui est à la base du film documentaire ‘Drawing Out the Demons’ (2004) réalisé par David Vaisbord.