Depuis 1977, Thomas Ruff étudie la photographie auprès de Bernd et Hilla Becher avec Andreas Gursky, Candida Höfer et Thomas Struth, entre autres. Le groupe se développe et évolue afin de finalement devenir la célèbre école de photographie de Düsseldorf, à une époque où le médium fait l'objet d'une réévaluation critique au sein de l’art actuel. Après des décennies d'art abstrait, une génération d'artistes axés sur la réalité émerge sous l'influence du pop art. Une nouvelle objectivité critique voit le jour.
Dans sa première série de photos ‘Interieurs’, Ruff montre des détails banals d'appartements parfaitement mis en scène. Pour la série ‘Porträts’, il capture avec précision et de manière aussi neutre que possible certaines personnes. Les deux séries aboutissent à des archives d'images capturées sans émotion apparente, qui se prêtent parfaitement à une étude comparative. La série ‘Häuser’ suit encore plus fortement l'exemple des Becher en privilégiant les structures marginales des bâtiments, mais contrairement aux photographies non manipulées des Becher, les images de Ruff - dans lesquelles il élimine numériquement les panneaux de signalisation, entre autres- perdent leur vérité documentaire et laissent transparaître son regard subjectif et esthétique.
Dans la série ‘Sterne’, Ruff va un peu plus loin. Poussé par sa fascination pour l'astronomie - il a longtemps envisagé de devenir astronaute - le photographe achète des négatifs montrant le ciel nocturne de l'hémisphère sud dans des archives scientifiques spécialisées. Les images sont réalisées à l'aide d'une caméra télescopique spécialement conçue à cet effet. Ruff sélectionne des détails qu'il agrandit et modifie. La distance ressentie et mise à nue par le support photographique utilisé souligne le regard objectif et stérile du scientifique.
Peu à peu, Ruff quitte la photographie traditionnelle pour explorer les informations visuelles de l'internet. Avec ‘Nudes’, il explore la perception stéréotypée, masculine et hétérosexuelle de la photographie classique de nu. Au cours de ses recherches, il croise des sites pornographiques explicites, qu'il perçoit comme bien plus véridiques. Il agrandit les images à faible résolution de manière à faire ressortir la structure des pixels, tandis que les contours se fondent dans une image douce, floue et esthétique. Dans sa série ‘jpeg’, Ruff gonfle des fichiers compressés, transformant les pixels en un puzzle optique, suggérant des contours de loin mais ne montrant que des carrés abstraits de près.
Ruff se sert de la photographie tel un jeu qui lui permet d'explorer sa relation avec la réalité. Avec ses photographies anonymes et neutres, il est plus conscient que quiconque de sa double position de commentateur subjectif de notre réalité médiatisée. En faisant passer l'information au second plan, Ruff ramène les images à une simple beauté formelle. En même temps, il nous fait prendre conscience des illusions et des manipulations qui se cachent dans toute forme de représentation.
