L’artiste espagnol Carlos Rodríguez-Méndez (1968, Pontevedra) installe pour son exposition Agua Caliente/Hot Water une immense sculpture minimaliste dans l’espace Kunst Nu du S.M.A.K.
La sculpture est constituée de trente-neuf gigantesques tuyaux en plastique blanc de trente-cinq mètres de long littéralement entassés dans la salle. Chaque tuyau est rempli de cinq litres d’huile végétale qui commence à s’écouler doucement pendant l’exposition.
En utilisant des matériaux sobres et ordinaires comme la terre, la tourbe ou dans ce cas, le plastique et en faisant appel à un langage esthétique minimal, l’oeuvre de Rodríguez-Méndez se positionne entre l’arte povera (’70) et le minimalisme (’60). Mais il y a davantage. Les ‘cicatrices’ que laissent les tuyaux dans la salle de présentation seront visibles et palpables pour le spectateur. L’oeuvre met ainsi à mal le discours traditionnel du minimalisme, car au lieu de tendre à un rapport d’équilibre, elle devient une recherche sculpturale sur les rapports d’échelle (surdimensionnés) entre le corps, la sculpture et l’espace. L’huile qui fuit est également typique d’une approche fortement corporelle de la sculpture chère à Rodríguez-Méndez et peut être interprétée comme un fluide corporel qui s’écoule lentement du ‘corps’ qu’est la sculpture. La sculpture d’aspect minimaliste devient ainsi plutôt un corps humain qui se blesse lui-même par sa volonté agressive de pénétrer coûte que coûte l’espace qui l’entoure. Les nombreuses performances que donne ou fait donner Rodríguez-Méndez et qui fonctionnent comme une sorte de ‘croquis performatif’ de ses sculptures illustrent cette vue fortement corporelle, presque sexuelle de la sculpture minimale, bien qu’il semble plutôt vouloir prendre une voie inverse. La performance Batir Saliva/Beating Saliva, menée de manière impromptue pendant l’exposition, en est un exemple frappant. Un performeur, assis dans l’entrée d’un bâtiment public de Gand, bat en mousse la salive de Rodríguez-Méndez. Au lieu qu’une sculpture prenne possession de l’espace architectural et laisse des fluides et des cicatrices comme ici dans l’espace Kunst Nu, ces secrétions du corps ‘sculptural’ de Rodríguez-Méndez même sont isolées et ‘remodelées’ en sculpture par un traitement corporel s’effectuant dans une architecture. On peut y voir autre chose encore. Dans la performance Agua Caliente/Hot Water, qui est aussi le titre de l’exposition, un performer voit des verres d’eau très chaude. Ici, ce sont les fluides externes qui pénètrent à leur tour l’architecture du corps sculptural et causent des dommages et laissent des cicatrices. Rodríguez-Méndez brasse donc le triumvirat minimaliste ‘classique’ corps-sculpture-architecture avec intelligence pour parvenir à une approche très corporelle, presque rituelle et eschatologique de la sculpture en corps. Il utilise tout autant des aspects activistes agressifs remontant à l’art de la performance des années ’70, incarnée par des personnes comme Chris Burden ou les Actionnistes de Vienne, que des modes de présentation minimale classique comme le plastique blanc, le jeu avec le white cube ou l’anoblissement de l’objet en oeuvre d’art sculptural. Le travail artistique de Rodríguez-Méndez n’est achevé que lorsqu’il est présent et décelable dans sa performance corporelle (le croquis) comme dans le processus de création corporel (l’installation) et dans sa présentation sculpturale (l’oeuvre même comme corps), et ce dans les diverses constellations possibles de l’architecture. Le corps se fait architecture, l’architecture se fait corps.
Plus d’informations: Carlos Rodríguez-Méndez | Agua Caliente/Hot Water (PDF)