Les peintures de Steven Aalders semblent à première vue d’une simplicité trompeuse ainsi que d’un raffinement extrême.
Toutes présentent une image équilibrée, harmonieuse même, basée sur l’emploi bien pesé de moyens plastiques élémentaires tels que la ligne, le plan et la forme, la couleur et la tonalité, le rythme et la composition, les couches et la texture, la peinture et la toile. Ces peintures attirent l’attention sur elles-mêmes, elles invitent le spectateur à ne se concentrer que sur leurs caractéristiques inhérentes et à s’abîmer dans cet univers créé par des moyens purement picturaux.
Les peintures de Steven Aalders semblent à première vue d’une simplicité trompeuse ainsi que d’un raffinement extrême. Toutes présentent une image équilibrée, harmonieuse même, basée sur l’emploi bien pesé de moyens plastiques élémentaires tels que la ligne, le plan et la forme, la couleur et la tonalité, le rythme et la composition, les couches et la texture, la peinture et la toile. Ces peintures attirent l’attention sur elles-mêmes, elles invitent le spectateur à ne se concentrer que sur leurs caractéristiques inhérentes et à s’abîmer dans cet univers créé par des moyens purement picturaux. Presque simultanément pourtant, dès le premier contact visuel, ces mêmes peintures appellent des associations qui empêchent que le spectateur s’abîme immédiatement, instinctivement, des aspects qui semblent détourner l’attention de l’œuvre elle-même - et qui augmentent en même temps le nombre de couches de l’œuvre et la rendent plus passionnante. Plusieurs peintures font songer immédiatement et explicitement à l’œuvre de Piet Mondriaan. On pourrait supposer que cela ne saurait empêcher le fait de s’abîmer dans un univers de moyens purement picturaux, puisque Mondriaan était justement un des pionniers d’une telle peinture « libre ». Après un processus progressif d’abstraction, Mondriaan a été l’un des premiers à couper définitivement le lien avec le monde extérieur d’objets et d’images - ce monde moderne qui devenait toujours plus fugace, fragmentaire, inconcevable et « externe ». Par chaque peinture individuelle il a mis en route un processus visuel dynamique au moyen de l’interaction d’horizontales, de verticales et de couleurs primaires. Ce processus devait permettre au spectateur d’intérioriser un champ universel et clos de forces, au delà de ce qui est visible.
L’œuvre de Steven Aalders invite elle aussi, comme nous l’avons dit, à la contemplation d’un univers purement pictural. Mais en référant dans certaines oeuvres si explicitement au pionnier néerlandais de l’abstraction, en le paraphrasant pourrait-on dire, il s’oppose en même temps à un processus de pure contemplation. Par cette référence explicite, Aalders - et donc aussi tous ceux qui considèrent ses tableaux - porte le fardeau de la tradition de la peinture abstraite du XXième siècle. Et en outre l’idiome stylistique néoplastique de Mondriaan a servi entre-temps d’innombrables fins publicitaires - de la vente de shampooing à la décoration de torses de coureurs cyclistes. Tout à fait contrairement au monde instinctif intérieur qu’il voulait dévoiler, Mondriaan appartient tout autant à la culture pop et celle de l’image que les Brilloboxes ou les Marilyn d’Andy Warhol. C’est en raison de tout cela que nous ne pouvons pas nous abîmer sans plus, immédiatement et indépendamment de toute référence externe, dans cet univers pictural pourtant harmonieux et calme de Steven Aalders. Ce qui apparaît clairement de la description succincte que nous venons de donner de l’art de Mondriaan, c’est que dès le départ la peinture abstraite ne pouvait exister dans le sens le plus littéral du mot que par et dans la contemplation et la perception du spectateur. L’effet spatial diminuant progressivement dans la peinture, l’espace concret du plan de l’image et l’interaction de l’œuvre d’art, du spectateur et de l’espace de l’exposition ont pris plus d’importance. Sous cet aspect l’Art Minimal n’est pas une rupture mais plutôt une suite logique de la peinture abstraite : les aspects matériels et constructifs de l’oeuvre d’art abstraite ont été isolés pour devenir, comme dans l’œuvre de Donald Judd, des « objets spécifiques », qui, par leur matérialité et leurs rapports d’échelle, se rapportaient directement à l’espace concret environnant, et à la corporalité des visiteurs évoluant dans l’espace. Outre Mondriaan, l’Art Minimal est aussi présent dans l’œuvre de Steven Aalders, même si c’est de façon un peu plus sous-jacente. Cela se voit non seulement dans la peinture Going West, inspirée directement de son expérience personnelle des 100 Boxes de Judd, mais surtout dans un certain nombre de caractéristiques structurelles que l’on retrouve dans toute l’œuvre de l’artiste. Ainsi les images présentent toujours une structure modulaire : la trame qui fonctionne comme support est visible dans la forme identique, rectangulaire des bandes de couleur, tandis qu’elle est couverte de peinture dans les espaces blancs intermédiaires lorsqu’il y en a. Il est aussi remarquable que les lignes noires éventuelles sont horizontales, jamais verticales. Cette caractéristique instaure une différence essentielle avec les images de Mondriaan, dans lesquelles l’interaction des lignes verticales et horizontales a parfois donné lieu à de violentes tensions et frictions.
Dans l’œuvre de Steven Aalders il n’est pas question de conflits ni de heurts. Il regarde Mondriaan d’un œil minimaliste, et la répétition, le reflet et la symétrie orientent et rythment la perception. Tandis que la répétition de bandes de couleur, ou l’alternance de petits blocs de couleur et d’intervalles blancs, fait glisser l’œil du spectateur horizontalement comme sur un écran de télévision grande largeur, ce mouvement est encore dirigé en plus par les lignes noires horizontales qui, contrairement aux blocs de couleurs qui glissent ou sautent constamment, sont relativement statiques. Par cet aspect, les peintures d’Aalders appellent même des connotations avec le cadre horizontal de l’architecture moderniste. Elles présentent également une parenté avec l’Art Minimal par la précision calculée et extrême avec laquelle la peinture est préparée, exécutée et achevée. Une citation de Steven Aalders dans l’essai de Pietje Tegenbosch ci-dessous, nous permet de déduire qu’il aime la distance et la rigueur moderniste et critique qui émane de l’aspect systématique du minimalisme et de la recherche « d’entièreté ». Mais tout comme Mondriaan, Judd ne peut plus être l’objet d’une considération de l’art pure, critique et distante. Le langage minimaliste a conquis l’espace architectural, ce faisant il a obtenu une certaine « douceur », et en cette qualité il est devenu par exemple le critère pour des magasins élégants de chaussures et de vêtements. On ne peut nier que les toiles de Steven Aalders, lorsqu’elles sont regardées par des yeux sensibles à la mode, peuvent obtenir une certaine séduction ornementale. Ainsi il s’avère que ces peintures, qui se coupent d’une part du monde extérieur et qui nous invitent à la contemplation intérieure, révèlent d’une façon subtile beaucoup de choses de ce monde extérieur constitué d’objets et d’images, et de la façon dont nous observons ce monde. D’autre part c’est précisément la découpe « horizontale » de l’image comme nous venons de la décrire, qui peut éveiller l’impression chez le spectateur que les bandes verticales de couleur se poursuivent à l’infini vers le haut et vers le bas dans « l’espace » de l’image. Contrairement à la matérialité purement concrète de l’objet postulé par le minimalisme, un espace illusionniste peut se faire jour ainsi dans l’œuvre de Steven Aalders, un espace qui s’étend à l’infini, tout comme l’univers de Mondriaan. Outre les références à Mondriaan et au minimalisme, l’œuvre de Steven Aalders comporte encore d’autres références, qui sont d’ailleurs souvent explicitement mentionnées dans les titres des oeuvres. Certaines peintures, consistant toujours en une série de bandes verticales blanches et colorées, sont des Etudes de couleurs de chefs d’oeuvres de l’histoire de l’art. Le maître en question, de Bouts à Saenredam, est toujours mentionné dans le titre.
D’autres séries, telles que Megisti et Findhorn, sont basées sur des expériences du paysage. Contrairement à Mondriaan et à l’Art Minimal, ainsi qu’à ce que la première impression d’une œuvre de Steven Aalders pourrait faire croire, il ne tranche donc pas le lien avec le monde extérieur concret. Cela se voit entre autres par les tonalités de couleur spécifiques à chaque œuvre, qui rompent le dogme néoplastique de l’usage exclusif des couleurs primaires telles que le rouge, le jaune et le bleu. Aalders présente ses peintures comme étant le résultat d’une observation riche en nuances et très épurée. Il montre comment son observation est colorée par des données sensorielles et des dispositions momentanées et conduites par des systèmes scientifiques de couleurs, la maîtrise de l’histoire de l’art et les choix personnels. Cette observation est ensuite traduite en un processus de peinture lent et exécuté avec méthode, dans lequel le calcul et le sentiment sont enchevêtrés de façon complexe. Cette complexité apparaît entre autres littéralement à la surface dans les variations des textures et dans les couches superposées qui caractérisent les plans de ses toiles. Par l’usage de la peinture à l’huile, la lenteur méditative du processus de peinture et le micro relief sensible du plan de l’image, l’œuvre d’Aalders présente une maîtrise d’artisan qui contraste fort avec la recherche minimaliste d’une production impersonnelle et industrielle. Dans ses peintures, Steven Aalders se soumet lui-même ainsi que la personne qui regarde son œuvre à de fortes épreuves. Ces peintures engendrent des questions essentielles, sinon sur le sens de la peinture, au moins sur l’importance que ses peintures abstraites, si harmonieuses, peuvent avoir encore aujourd’hui, trois quarts de siècle après Mondriaan et presque un demi-siècle après la naissance du minimalisme. Mais celui qui prend le temps de regarder, sans se préoccuper de la logique rigide de références historiques, découvre où réside le sens de la peinture aujourd’hui. Notamment dans la vérité merveilleuse qu’à présent que la peinture est libérée de toute logique de progrès, la valeur de chaque peinture réside dans sa propre force individuelle. Cette façon de regarder requiert un regard sensible, sachant se glisser dans la situation, et observateur à l’extrême. L’œuvre de Steven Aalders est d’une part le résultat d’une réduction consciente et très poussée de moyens plastiques. D’autre part, et précisément pour cette raison, elle constitue le point de départ d’un processus visuel d’expérience, résistant avec brio à toute réduction possible. Cette complexité raffinée lui permet d’approcher de presque trop près de ce qui est ornemental, tout en laissant cet aspect très loin derrière lui.